Edition Le monde Autour , vestiges et présages
Risographie, production Chapelle St Jacques
Risographie, texte Valérie Mazouin,visuel David Coste, design graphique Phélix Charier, 2024
Très cher David,
Lorsque je regarde ton exposition Le monde autour «Vestiges
et présages» je pense à cette phrase de Ballard. «Le futur,
faut-il le répéter, est une zone dangereuse, lourdement minée,
et qui a tendance à vous mordre les chevilles lorsque vous
faites un pas en avant.»J.G.BALLARD Nouvelles complètes
1972 / 1996. Ed. Tristram; 2010
Tu vois, j’émets une hypothèse, l’art entendu comme
expérience serait, pour toi, ce futur qui peut nous mordre les
chevilles alors même qu’il invite nos mains à se saisir du
monde. Je pense aussi à l’enfance, une aventure chargée de
pesanteur et de grâce, mutation faite d’histoire, de présent et
de futur mêlée, une zone dangereuse à l’appétit féroce.
En images crées, en images-souvenirs, en images projetées,
le futur devient un échange vivant avec la mémoire, le rêve et
la tradition. Avec ce monde autour tes mains découpent,
construisent, attrapent se saisissent des lieux qui te sont
confiés. Ici, tu expérimentes la richesse historique, produis
une dynamique fluide alors même que tu te jettes en terrain
miné. Lorsque tu poses ton regard sur l’ensemble des sites à
investir, tu pressens cette charge symbolique où se concentre
la mémoire passée, présente et future. De ces valeurs, de ce
qui demeure, de tes gestes des deux mains apparaissent tes
oeuvres. Tu te prends à jouer de prévisions de l’avenir. Ta
construction mentale, que mêle dessin, pliages,
photogravures, installations, retourne une puissance
d’articulation au réel. Ainsi, dans ce que tu nous proposes, le
fictionnel ne cesse d’aller et venir entre le sensible et
l’intelligible. Au fil d’un récit que je ferais glisser de l’enfance
au cinéma, tes propositions s’assemblent en apparitions-
disparitions. Elles offrent ces décors défiant le réel trop
souvent encombrant.
À l’évidence se prolonge ici un
processus de longue date engagé, soit une polysémie de
fonctions qui se catapultent entres elles ou en surprises.
Radeaux, dômes géodésiques, mains qui dessinent et
bougent en pleine lumière, insinuent une dramaturgie, distillent
avec subtilité l’ambivalence d’un avenir radieux et sombre,
inexorablement cernés d’inquiétudes portées à appréhender
le réel. La zone dangereuse, minée d’un nouveau monde se
mesure à l’aune de ton passé, ton présent. Oui, force est de
constater que l’oeuvre se construit avec grande cohérence
s’ajustant à tes gestes et pensées superposées. Voir sans voir
et pourtant… voir.
C’est d’ailleurs maintenant qu’il me revient en mémoire
cette
clé de voûte de la mise en oeuvre de ta proposition. La devise
des moines chartreux « Le monde tourne la croix demeure »
est détournée en un contrepoint rigoureux mouvant, en une
écriture dont les lignes successives distillent un
ensembleréflexif, une praxis confiée auxregardeurs. Elle
apparait en une construction derécits multiples à la
foiscinématographique etlittéraires. Mais, je m’interroge à
nouveau… Comment construire et déconstruire des images
par une observation précise de codes définis par un
monastère, la conquête spatiale, les explorateurs ou encore la
science-fiction ? Questionner tes relations au décor et à
l’image cinéma me conduisent à la zone dangereuse, oui,
celle-là même.
En plusieurs parties, toutes nourries de tes
récits, l’ensemble des pièces présentées favorise la lecture du
processus et de la mise en oeuvre même du projet. Je vois
donc une boîte dans la boîte, des images à l’intérieur d’autres
images, des décors dans le décor. Du sens au contresens, de
ce jeu perpétuel d’intrications de signes ambivalents,
contradictoires,
tu décortiques leurs capacités fictionnelles. Tu
développes, sur l’ensemble des sites, un projet d’envergure
dans de nouvelles productions proches de mises en scène de
studio. Les oeuvres choisies, réalisées, dépassent la seule
surface des images, nous entraînent dans un univers spatial
précisant la densitédramaturgique de ce rapprochement que
produisent à Villeneuve les Avignon, collectionspatrimoniales
et art contemporain. Passé, présent, futur, les sites investis se
déclinent en plusieurs opus qui ne cessent de nous conduire
du micro au macro, du cosmos aux molécules. Interstellar de
Christopher Nolan s’impose à moi, renforce cette fonction de
cinéaste que je t’ai attribué quelques lignes plus haut, Nolan
dans ce film nous fait aller du visuel à l’émotion, prendre en
compte les bouleversements qui s’opèrent du dicible à
l’indicible, révèle un labyrinthe mental pour tenter de percer le
mystère que lui inspire le monde. David, toi aussi, tu nous fais
tendre vers cette vision des humanités allant des glorifications
des croyances au délaissement de tensions cérébrales pour
induire des échappées fragmentaires que sont ces
métaphores de possibles survivances de rêves ou plutôt «un
présent visionnaire».
Réalisateur d’une super production holywoodienne, tu es porté
par l’ampleur d’un lieu et de ta vision des espaces. Je te sais
connaître, en partie, les propres ressorts de ton travail, même
si tu te laisses errer à tes imaginaires changeants. Tu avances
avec, à l’esprit tes constructions pouvant être cabanes ou
images. En jouant du dedans-dehors, devant-derrière il te faut
percer le visuel et l’ouvrir au sensible. À l’écran, je ne vois rien
de caché mais que tout est caché.
Si Je pose ces mots imaginés telle des notes de travail sur
carnet, une sorte de Reader-digest de story-board .
Vision - Nuit américaine – Sombre - Apparitions des choses
qui ne sont pas dans la lumière - Entre deux/Sommeil – Nuit/
Rêves - Mettre les personnes en activité - Monde intermédiaire
- Temps suspendu - S’abandonner aux images/représenter
des visions – Obsolète - Inventer du passé - Non réel - La
lumière indique l’imaginaire des représentations sur le futur -
Existence devant l’objectif - Tout est réel - On voit la prise de
vue – Couleur/Lieu/espace - Mettre en scène - un patron qui
permet l’assemblage.
Ne penses-tu pas que ces notes, peuvent souligner la
simultanéité des approches?
J’estime, c’est toujours une hypothèse, qu’elles produisent une
mécanique des images dont tu entends faire émerger les
ambivalences. Je vois le temps comme une construction de
l'identité de ton travail et de ton exposition.
Nous y prendrons
garde et nous laisserons cheminer nos imaginaires au gré des
paysages architecturées, et décors allusifs comme dans
l’attente d’une fiction. Car, La perméabilité, l’archivage,
l’inventaire mis en perspective dans ton projet finissent par
tracer un cheminement pouvant ne pas nous laisser nous
échapper qu’à une seule interprétation. Ces lieux chargés
d’histoire, que sont ici la chartreuse, le fort, le musée ou la
tour, s’estiment à l’aune de la déambulation, attirent l’attention
sur cette boîte à outil déversée au fil des pas. Même si Tu
nous la confies, par éléments graphiques et photographiques,
de façon que je pressens intuitive, je la saisis telle une enfance
de l’art. Elle construit un espace mental et nous fait sentir la
dimension de l’invisible par une expérience physique.
Oui, faisons-nous mordre les chevilles et avançons dans ce
jeu des simultanéités du vivant qui nous donne des ailes.
Et là, je pense encore à Ballard
Apprends moi à voler.
L’ultime cité. J.G. Ballard – Nouvelles complètes 1972 / 1996